Préface
Près de cinquante ans se sont écoulés depuis que Werner Vycichl a commencé à explorer et à labourer, courageusement, inlassablement, le vaste champ des études chamito-sémitiques, dans lequel la langue copte, liée à son ancêtre l'égyptien pharaonique, occupe incontestablement une place centrale. Mais il ne suffisait pas que cette intense activité savante, de pionnier toujours écouté et lu avec un très vif intérêt, se soit manifestée et ait fructifié sous la forme d'une bonne centaine d'articles de haute valeur, publiés dans les revues les plus diverses. Chacun espérait qu'un jour ce trésor ainsi éparpillé et dispersé se trouverait réuni dans un grand ouvrage d'ensemble, par celui-là même qui était le plus autorisé à le faire, connaissant seul assez intimement la méthode utilisée, la même quoique progressivement affinée, dans ces secteurs si variés; et au-delà de la méthode commune, les liens sous-jacents unissant entre eux tous ces articles ponctuels, et toujours riches en information dans leur ponctualité. Cette synthèse a donc pris la forme du Dictionnaire étymologique de la langue copte que le lecteur trouvera ci-après. En le publiant, W. Vycichl a tenu à mentionner mon nom au-dessous du sien sur la page de titre. C'était là, sans doute, m'accorder un honneur insuffisamment mérité. Certes, j'ai vivement encouragé, et de diverses manières, mon savant collègue à consacrer à cette réalisation monumentale ces quelques années passées, et, en inscrivant sa préparation dans le cadre de l'élaboration du nouveau Dictionnaire copte, je l'ai fait bénéficier de ce qui, dans la documentation de cet ouvrage futur, était susceptible d'alimenter utilement le Dictionnaire étymologique de la langue copte. Mais là se sont arrêtées mes modestes contributions. Car pour l'essentiel, l'ouvrage présenté ici, dans sa conception générale comme dans son détail, est et reste incontestablement l'œuvre de Werner Vycichl seul. Tous ceux qui ont suivi pas à pas la carrière et les travaux de l'éminent linguiste s'en rendront d'ailleurs compte immédiatement en consultant ce grand ouvrage, où fourmillent les renseignements les plus divers (attestant la très vaste ouverture de cet esprit essentiellement curieux et pénétrant, et l'immensité du domaine dans lequel il a conduit ses recherches, et acquis une expérience inégalée).
En tant que dictionnaire étymologique, le Koptisches Handwörterbuch de W. Spiegelberg (Heidelberg 1921) avait fait son temps depuis de nombreuses années, d'où la nécessité urgente d'un nouveau dictionnaire étymologique copte tenant compte, entre autres, des énormes progrès effectués dans le domaine de la lexicographie copte, par W. E. Crum déjà dans son Coptic Dictionary (Oxford 1939), puis dans d'autres travaux ultérieurs; un nouveau dictionnaire fondé sur l'apport linguistique considérable fourni dans le domaine copte, et dans sa dialectologie, par l'apparition des Papyrus Bodmer (presque tous bibliques) d'abord, des textes (gnostiques) coptes de Nag Hammadi ensuite, des codex (bibliques) mésokémiques (= moyen-égyptiens) encore (cf. H.-M. Schenke, Das Matthäus-Evangelium… (Codex Scheide), Berlin 1981), pour ne citer que les principaux parmi eux.
Deux dictionnaires étymologiques coptes, et non des moindres, sont cependant sortis de presse depuis 1921: J. Černý, Coptic Etymological Dictionary, Cambridge 1976 (ouvrage posthume); W. Westendorf, Koptisches Handwörterbuch… bearbeitet auf Grund des Koptischen Handwörterbuchs von Wilhelm Spiegelberg, Heidelberg 1977. Valait-il donc la peine de leur en ajouter un troisième si peu de temps après leur achèvement? Et ce troisième pouvait-il être autre chose que la répétition, sous une forme un peu différente, de la même matière déjà fournie et élaborée par ses prédécesseurs?
Voilà une question fort légitime; mais sa réponse sera franchement exempte du moindre doute. Déjà le Černý et le Westendorf sont des ouvrages foncièrement différents, mettant le poids de leur effort respectif sur des domaines qui ne sont pas les mêmes, en sorte que tout coptisant sérieux a besoin de l'un et de l'autre: il lui faut le Černý parce qu'il est plus spécifiquement centré sur l'étymologie, champ dans lequel son auteur a fourni un travail original, de recherche, et où il justifie et motive ses choix (mais le Černý ne donne, du copte, que le minimum de formes orthographiques et (sub)dialectales indispensable à la présentation des étymologies); à tout coptisant digne de ce nom, il faut également le Westendorf, parce qu'il s'efforce de donner chacune des «bonnes» formes orthographiques et (sub)dialectales coptes qu'il connaît, présentant ainsi sur ce point un progrès certain par rapport au Dictionary de Crum (mais le Westendorf a, dans le domaine des étymologies, plutôt le caractère d'une compilation, que d'une œuvre de recherche basée sur l'examen critique personnel et la sélection). À côté de ces deux ouvrages, dont tous leurs utilisateurs font usage avec commodité et profit, le Dictionnaire étymologique de la langue copte de W. Vycichl aura certainement lui aussi sa place incontestée, occupant un «créneau» jusqu'ici délaissé (outre qu'il s'agit là d'un ouvrage en français, alors que le Černý est en anglais, et le Westendorf en allemand). Purement étymologique comme le Černý, le Vycichl va cependant beaucoup plus loin que ce dernier, non seulement parce que les connaissances de l'auteur dans le domaine chamito-sémitique sont considérablement plus larges, mais aussi parce qu'il justifie d'une manière très approfondie et détaillée les positions qu'il adopte, justifiant tout aussi minutieusement ses refus, quand il estime que certaines étymologies proposées par d'autres sont à rejeter. En s'en tenant à cette position très particulière et personnelle (que seul un très grand étymologiste et linguiste peut se permettre d'adopter), l'auteur s'exposera assurément à plusieurs critiques; tous n'accepteront pas sans discussion, réticence, ou même sans prises de position opposées, les solutions, très souvent originales, qu'il propose ou recommande; mais du moins le lecteur saura-t-il que là, il trouvera autre chose que la monotone, mécanique, minutieuse et neutre répétition d'étymologies glanées ici ou là, chez des chercheurs de tous calibres et de tous poils.
Voici encore quelques indications techniques sur la manière dont W. Vycichl présente sa matière. Dans son Dictionnaire, chaque lexème est l'objet d'une étude particulière. Les formes égyptiennes (pharaoniques) et démotiques sont données avec le sens qu'elles avaient à leur époque. Ce sens est donné en français évidemment, mais aussi et souvent en allemand, anglais ou arabe, quand il a fallu, à l'occasion de la définition sémantique d'un lexème, citer les indications de quelque étude spécialisée ou de quelque glossaire etc. en allemand, anglais ou arabe. En ce qui concerne la vocalisation de l'égyptien (non copte), la reconstitution (toujours hypothétique) de ces voyelles s'appuie évidemment sur les diverses formes dialectales coptes, mais aussi, cas échéant, sur certaines transcriptions grecques, ou des parallèles en hébreu ou en telle ou telle langue à écriture cunéiforme, sans oublier bien sûr, partout ou c'est possible (et beaucoup plus souvent qu'en Černý ou Westendorf), la comparaison avec telle ou telle forme analogue tirée de quelque langue sémitique ou chamitique.
Ainsi se trouve éclairée d'un jour nouveau, très original, la langue égyptienne de l'époque romaine et byzantine, et celle du haut moyen-âge; et là, riche et coloré, sensible et fréquemment précis dans ses nuances plus que nous ne le savons ou pressentons, le fonds lexical égyptien admirablement manié par les grands auteurs ou traducteurs coptes, pour exprimer leur pensée: les auteurs anonymes mais généralement fort intelligents et perspicaces des diverses versions bibliques, vétérotestamentaires ou néotestamentaires, lesquels, tout en traduisant l'ouvrage permettant la diffusion du christianisme dans le peuple égyptien, ont par là même formé, pour l'essentiel, le copte en tant que langue littéraire; les auteurs encore de nos étranges textes gnostiques, vraisemblablement traduits du grec eux aussi; ceux qui ont écrit les chefs d'œuvre que sont les versions lycopolitaines de textes manichéens sauvées de l'anéantissement et parvenues jusqu'à nous; les grands auteurs autochtones enfin, ayant écrit directement en copte, tels Chénouté (étonnant dans sa truculence et son style passionné, violent, incisif, taillé à la hache), Bésa (intéressant aussi quoique plus modéré et modeste), pour ne citer que les principaux… Il y aurait, à ce sujet, beaucoup à dire encore. Mais il convient de s'arrêter ici, pour laisser la parole à W. Vycichl lui-même, car c'est avant tout son travail, ce sont les résultats de ses recherches, ses connaissances, sa science, que le lecteur viendra chercher ici.
Rodolphe Kasser
Introduction
Le présent Dictionnaire étymologique de la langue copte comprend le vocabulaire autochtone de la langue dérivé de l'égyptien, à l'exclusion d'emprunts récents de provenance grecque ou arabe pour lesquels nous possédons déjà des études historiques. Les formes coptes ont été ramenées, dans la mesure du possible, à leurs prototypes égyptiens et comparées avec les correspondances d'autres langues apparentées. En effet, l'égyptien occupe géographiquement une position centrale parmi les langues chamito-sémitiques: il se situe au milieu entre le berbère à l'ouest, le couchitique au sud et le sémitique à l'est. Le tchadique, groupe particulièrement archaïque, est parlé en Afrique occidentale.
La disposition du Dictionnaire
Les mots coptes sont donnés, en principe, sous deux formes: en sahidique (S), dialecte littéraire de la Haute Égypte, caractérisé par une régularité remarquable et disposant d'une riche littérature, et en bohaïrique (B), dialecte littéraire de la Basse Égypte et, depuis le XIe siècle, langue officielle de l'Église copte.
Les formes d'autres dialectes sont citées quand elles apportent un supplément d'information et, bien entendu, quand les formes des deux dialectes principaux ne sont pas attestées.
La traduction des mots coptes est donnée d'après les travaux de Peyron (1835), Spiegelberg (1921), Crum (1939), Kasser (1964) et Westendorf (1977).
Les sigles (lettres ou chiffres) précédant les graphies hiéroglyphiques indiquent la première attestation des mots égyptiens: 𓉡 Ḥ.t Ḥr signifie que le nom de la déesse «Hathor» est attesté depuis les Textes des Pyramides (environ 2300–2150 avant J.-C.); dans le cas de 𓂓𓄿𓅓𓆭𓉐 kꜣm «vigne» il s'agit d'une graphie de la 19e dynastie (1305–1196 avant J.-C.). Ces abréviations se trouvent déjà dans le Dictionnaire égyptien de Berlin.
Les graphies reproduites sont toujours les plus anciennes. Dans certains cas, on trouvera également une forme plus explicite, c'est-à-dire plus complète: 𓊪𓅮𓄿 pꜣ «voler, s'envoler» est la graphie de l'Ancien Empire (= a), 𓅮𓇋𓇋 pꜣyy (= phon. pꜣy) est la forme correspondante du néo-égyptien (= n).
La transcription des mots égyptiens
Toutes les graphies égyptiennes sont suivies d'une transcription en caractères latins. Celle-ci rèproduit intégralement l'original sans additions complémentaires. Dans les cas où cette transcription s'avérait incomplète, les consonnes non écrites ont été ajoutées entre parenthèses, par ex. 𓂋𓂝𓂻 ꜥr(y) «monter», graphie du Moyen Empire (= ME). Seulement dans les cas dans lesquels l'existence d'une consonne omise dans l'écriture ressort clairement de la structure des formes coptes, les parenthèses ont été omises. C'est ainsi qu'on trouvera 𓂋𓍿𓀁 rṯ «homme», graphie commune à toutes les époques, transcrit comme rmṯ en raison de l'ancienne forme pl. 𓂋𓅓𓍿𓏧 rmṯ-w des Textes des Pyramides et des formes coptes rōme (S: ⲣⲱⲙⲉ) et rōmi (B: ⲣⲱⲙⲓ). Dans ce cas l'existence de la deuxième consonne m est considérée comme établie. En revanche on trouvera 𓆓𓂧𓏏𓏲𓆭 ḏd.tw «olivier» ou «olive», en copte čoyt (S: ϫⲟⲉⲓⲧ) ramené à une forme néo-égyptienne ḏayti provenant du canaanéen (zayt-i, forme du génitif).
La traduction des mots égyptiens
La traduction des mots égyptiens est donnée, en règle générale, d'après le Wörterbuch der Berlin (1926–1931) et le Dictionary de R. O. Faulkner (1962). Les mots démotiques proviennent en général du Glossar d'Erichsen (1954). Dans de nombreux cas plusieurs significations voisines ont été données pour bien situer le sens du mot dans son champ sémantique. Les traductions sont suivies dans la presque totalité des cas de définitions en langue étrangère: allemand pour le Wörterbuch de Berlin et le Glossar d'Erichsen, anglais pour le Dictionary de Faulkner et le Coptic Etymological Dictionary de Černý (1976).
Les dictionnaires copto-arabes
Les définitions des scalas copto-arabes, notamment de la Scala Magna de Abū l-Barakāt Šams ar-Riꜣāsa, éditée par Athanasius Kircher (1664) et de la Scala P 44 de la Bibliothèque Nationale de Paris, éditée par Munier (1930) sont données en caractères arabes avec transcription et traduction. Elles sont rédigées, non en arabe classique, mais en arabe égyptien et les traductions sont données d'après De Biberstein-Kazimirski (1868), Spiro (1895), Elias (1950). Les dictionnaires de la seule langue classique, comme celui de Lane (1955), sont inutilisables pour les scalas.
La structure des mots coptes
Steindorff, dans sa Koptische Grammatik (1894), et Seth, dans son Verbum (1899–1902), ont élaboré un système permettant de reconstituer les mots égyptiens écrits dans une orthographe qui ignore les voyelles. En combinant les consonnes des mots égyptiens et les voyelles des mots coptes, ils arrivent, non à reconstituer réellement l'ancienne langue, mais au moins à nous donner une idée de la structure des mots, ce qui est extrêmement précieux pour l'étude de la morphologie. C'est ainsi que les mots coptes ntōre «déesse» (S: ⲛⲧⲱⲣⲉ) et ḥmū «sel» (S: ϩⲙⲟⲩ) sont formés d'après la même formule: nṯōret et ẖmūꜣet. Le ū (= français ou) du deuxième mot est conditionné par la nasale précédente (m) et remplace la voyelle ō. Il y a donc deux mots de la même structure, ntōret et ḥmōꜣet, tous deux féminins.
La reconstruction des formes égyptiennes
Dans le présent Dictionnaire nous avons tâché d'aller plus loin. En comparant les différentes formes de mots dans les dialectes coptes, les graphies des mots égyptiens, y compris les graphies dites syllabiques ou, mieux encore, semi-syllabiques, nous sommes arrivé à insérer les formations égyptiennes reconstituées dans une système cohérent grâce à la comparaison de la morphologie égyptienne avec celle des langues sémitiques, notamment de l'arabe et de l'éthiopien, et aussi des langues chamitiques: berbère, tchadique, couchitique. A la lumière de ces comparaisons, il s'avère que les deux structures précitées, ntōret «déesse» et ḥmōꜣet «sel», appartiennent à la même formation nominale et dérivent de naṯār-a.t et de ḥamāꜣ-a.t, féminins dits «internes» des masculins correspondants naṯīr et ḥamīꜣ (non attesté).
Dans le cas des verbes 𓈖𓐍𓏏𓆱 nḫt «devenir, être fort» (graphie valant pour toutes les périodes de la langue) et 𓄔𓅓 sḏm «entendre» nous remontons à l'aide des formes coptes, nšot (S: ⲛϣⲟⲧ) et sōtem (S: ⲥⲱⲧⲙ), à des prototypes naḫát et sāḏim.
Pour une période plus ancienne, naḫát et sāḏim peuvent être reconstitués comme naḫāt et saḏm, formes qui correspondent aux deux grandes séries des noms verbaux de l'arabe. Naḫāt «devenir, être fort» correspond aux noms verbaux du type salām «salut», littéralement le «fait d'être en bonne santé», rawāḥ «partance, le fait de partir», fasād «corruption», noms verbaux de verbes intransitifs. En revanche, saḏm correspond aux noms arabes ḏarb «coup», fahm «compréhension, intelligence», radd «reddition», dans la plupart des cas, noms verbaux de verbes transitifs.
Trois stades successifs
Pour éviter toute confusion entre les formes reconstituées à partir des «structures» (naṯār-a.t, ḥamāꜣ-a.t, naḫát, sāḏim) et les formes plus anciennes (également naṯār-a.t, ḥamāꜣ-a.t, mais naḫāt, sáḏm), nous faisons précéder les premières d'un astérisque (), les dernières d'un petit cercle ().
Il est certain que l'égyptien a également connu une désinence nominale, non casuelle. Son existence a pu être démontrée pour la première fois dans nos «Nouveaux Aspects» (1959) pour ḥꜣ.t-y-w en néo-égyptien (1) dans ḥtēw «leur cœur» (S: ϩⲧⲏⲩ) et (2) pl. «cœurs» (S: hate, A: ϩⲉⲧⲉ). La qualité de cette désinence n'est pas connue. Il s'agissait probablement de -u, comp. la graphie 𓈖𓂋𓅱𓅆 nbw-f «son maître» (Urk. I 180,3), probablement nība + u: nībaw ou sim. Nous désignons ces reconstructions archaïques par des guillemets: nībaw «maître», qisyu «os», mawayu «eau», puis maw(y)u, etc.
La position de la langue égyptienne à l'intérieur du chamito-sémitique
L'égyptien et le copte forment un des quatre groupes linguistiques dits chamitiques, parlés en Afrique. Ces groupes s'opposent au groupe des langues sémitiques originaires d'Asie: (1) égyptien et copte, (2) berbère, (3) tchadique, (4) couchitique.
Les langues sémitiques les plus importantes sont:
(1) l'accadien (assyrien au nord, babylonien au sud), (2) l'hébreu, langue de la Bible, (3) l'araméen, langue de Jésus-Christ, (4) l'arabe, langue du Coran, (5) l'éthiopien, langue de Ménélik, fils légendaire du roi Salomon et de la reine de Saba.
Dans l'ensemble les langues chamitiques présentent un type plus archaïque que les langues sémitiques. Nous avons relevé les différences suivantes entre les deux groupes:
— les langues chamitiques possèdent des verbes bilittères (= à 2 consonnes seulement), les langues sémitiques non.
Exemples: égyptien wn «ouvrir», ḳd «construire», rd «croître», berbère ĕfĕl «partir» (touareg), tchadique tafi «aller» (haoussa), couchitique dir «tuer» (bedja). Les langues sémitiques en revanche ne possèdent que des verbes à 3 ou à plusieurs radicales: arabe fataḥ «ouvrir».
— Les verbes bilittères du chamitique forment leur thème emphatique (duratif, etc.) par la gémination de la première consonne, procédé inconnu du sémitique.
— En égyptien 𓐪𓂧𓏌𓀨 ḳd «construire» forme un nom d'agent 𓇋𓐪𓂧𓏌𓅱𓀨 iḳdw «constructeur»: ekōt (S: ⲉⲕⲱⲧ). Dans ce cas nous avons choisi le participe emphatique (= nom d'agent) parce que les formes verbales ne survivent plus en copte. Il s'agit de ꞽiḳḳādaw avec gémination du ḳ indiquée par le ꞽ prothétique. En berbère ĕfĕl «partir» (touareg) possède une forme d'habitude effāl (gémination ff), en couchitique nous avons i-dif «il est allé», i-ndif «il va» provenant de i-ddif (bedja).
— Le nom verbal des verbes bilittères est formé en chamitique sur le même modèle: égyptien 𓃹𓈖𓉿 wn «ouvrir»: wen (L: ⲟⲩⲉⲛ) provient de win, ancien wīn. En berbère nous avons les noms verbaux ẹ-fīl «départ», ẹ-gʸīr «lancer», e-gīf «tristesse»: le préfixe ẹ- est l'ancien article défini, solidaire du nom. En tchadique la situation est moins nette. Il y a des formes du type ʾdība «enlever» (haoussa), mais il n'est pas certain qu'elles correspondent aux autres noms verbaux.
— Le chamitique ignore les causatifs à gémination très fréquents en sémitique: arabe fariḥ «être joyeux», farraḥ «rendre joyeux», ḏ̣aʿuf «être faible», ḏ̣aʿʿaf «affaiblir». En chamitique les formes correspondantes n'ont jamais une valeur causative: copte telēl (S: ⲧⲉⲗⲏⲗ: tallīlaw ou sim.) «se réjouir», berbère: ekref «entraver» (touareg), kārref «entraver habituellement», couchitique: i-ktim «il est arrivé» (bedja), i-kantim (mis pour i-kattim) «il arrive».
— Aucune langue chamitique ne possède une flexion nominale dans le sens de la grammaire sémitique. L'arabe opère avec un système de 3 cas: nom. al-malik-u «le roi», gén. al-malik-i «du roi», acc. al-malik-a «le roi».
— La construction des noms de nombre est différente dans les deux groupes. Les numéraux de 3 à 10 s'accordent avec le nom qu'ils accompagnent: égyptien 𓊪𓋴𓆓𓏸𓏏𓐂𓌒𓌒𓌒 psḏ.t pḏ-w.t «les neuf arcs», berbère semmes yeržazen «5 hommes», semmset tsednan «5 femmes» (Beni Mzab, Algérie). En sémitique, il y a désaccord: arabe ḫams-a.t-u riǧāl-i-n «5 hommes» (nom de nombre ḫams-a.t), ḫams-u niswān-i-n «5 femmes» (nom du nombre ḫams).
De plus, aucune langue chamitique ne possède un passif formé par la voyelle u (arabe qatal «il a tué», qutil «il a été tué»), et le passif aussi à préfixe n- y est également inconnu (arabe in-qatal «il a été tué»), etc.
Éditions de textes vieux-coptes (O)
- Un horoscope acheté à Thèbes par Stobart en 1853–54, conservé au British Museum (BM 89), datant d'environ 95–130 après J.-C. Première publication: F. Ll. Griffith, The Old Coptic Horoscope of the Stobart Collection, ÄZ 38, 1900, 71–85. L'édition la plus récente est due à J. Černý, P. E. Kahle, R. A. Parker, The Old Coptic Horoscope, JEA 43, 1957, 86–100.
- Texte magique d'Oxyrhynque (ruines situées entre Maghāgha et Qolosana, environ 180 km au sud du Caire), actuellement conservé au British Museum (BM 10808). La première édition est due à W. E. Crum, An Egyptian Text in Greek Characters, JEA 28, 1942, 20–31. Commentaires et traductions de Axel Volten, An Egyptian Text in Greek Characters, publié dans Studia Orientalia Ioanni Pedersen dicata, Copenhague 1953, 364–376 et J. Osing, Der spätägyptische Papyrus BM 10808, Ägyptologische Abhandlungen, Band 33, Wiesbaden 1976. Texte difficile en égyptien tardif qui mérite une nouvelle étude.
- Deux étiquettes de momie du Musée de Berlin, du 2e siècle après J.-C. publiées par G. Steindorff, Zwei altkoptische Mumienetiketten, ÄZ 28, 1890, 49–53.
- Texte astrologique fragmentaire provenant du Fayoum (Soknopaiou Nesos) de la seconde moitié du 2e siècle après J.-C., publiées par G. Steindorff, Zwei altkoptische Century Text in Coptic Letters, AJSL 58, 1941, 84–90.
- Gloses du Grand Papyrus Magique de Londres et de Leiden, du 3e siècle après J.-C. conservé à Londres (BM 10070) et à Leiden (Leiden No. I 383). Texte démotique comportant 640 mots égyptiens écrits en caractères grecs et 12 symboles empruntés au démotique. Première étude: F. Ll. Griffith, The glosses in the Magical Papyrus of London and Leiden, ÄZ 46, 1909, 117–131. Une édition complète a été publiée par F. Ll. Griffith-H. Thompson, The Demotic Magical Papyrus of London and Leiden, London 1905.
- Les parties égyptiennes du Papyrus Magique Grec de la Bibliothèque Nationale de Paris (B. N. Suppl. 574), datant probablement de 275–400 après J.-C. et publié par Georg Möller dans K. Preisendanz, Papyri Magicae Graecae (PMG), Leipzig 1928, I, No. IV, p. 64–180.
- Les passages égyptiennes du Papyrus Mimaut du Louvre, papyrus magique grec écrit après 300 après J.-C. (Louvre 2391) édité également par G. Möller dans G. Preisendanz, PMG I, no. III (p. 30–63), Leipzig 1928.
- Le Papyrus Vieux-Copte Schmidt, apparemment disparu, mais publié d'après une photographie par Helmut Satzinger, The Old Coptic Schmidt Papyrus, Journal of the American Research Center in Egypt, (Jarce), XII, 1975, 37–50, d'après Crum écrit vers 100 après J.-C.
- Un papyrus du Fayoum, publié par W. Spiegelberg, Demotica II, ABAW 1928 Abhandlung 2, p. 44–49 et pl. 10a (Abh. der Bayerischen Ak. der Wiss.).
Nomenclature des dialectes et sous-dialectes coptes
Ce classement suit pour l'essentiel les indications de R. Kasser, Les dialectes coptes, BIFAO 73, 1973, 71–99 (revisé dans Kasser, Prolégomènes, Muséon 93, 1980, 53–112, 237–297; 94, 1981, 91–152):
- Akhmimique. Ancien dialecte de la région d'Akhmim (Haute Égypte à proximité de Sohâg, environ 450 km au sud du Caire), caractérisé par la lettre ⳉ = ḫ, ancien 𓐍 ḫ ou 𓄡 ẖ. Premier texte publié par U. Bouriant, Les papyrus d'Akhmim, Mém. Miss. Arch. Fr. I, 1884, 243–304.
- Bohaïrique. Dialecte littéraire de la Basse Égypte, notamment de sa partie occidentale, langue officielle de l'Église copte dés le XIe siècle. Le nom provient de l'arabe buḥaira «lac» (Lac Mariout, Lac Edkou, Lac Borollos, etc. dans le Delta). B et M sont les seuls dialectes coptes dépourvus de voyelles «brisées». Grammaire: Alexis Mallon, Grammaire copte. Beyrouth 1904, 4e édition revue par M. Malinine, Beyrouth 1956.
- Nommé d'après l'éditeur du seul texte existant: E. Chassinat, Un papyrus Médical copte, MIFAO 32, 1921. Sigle abandonné dans Kasser, Prolégomènes.
- Nommé d'après la ville de Damiette dans le Delta, le dialecte appelé bachmourique par Athanasius de Kous, comp. Gertrud Bauer, Athanasius von Qus: Qilādat at-taḥrīr fiʿ ilm at-tafsīr. Freiburg im Breisgau 1972. Crum note deux mots de ce dialecte: ⲱⲡⲓϣ (p. 528 broad river bed, Montp 207 mentionné parmi des noms de cellules ou sim. هى لفظه بشموريه و تفسيرها الفجرة : اسما قلالى) et p. 453: ⲧⲓϧⲓ crane = grue = ⲉⲧⲏϣⲓ (B), glose BM 924 بحيرى buḥayri, ⲧⲓϧⲓ بشمورى bašmūrī p. 62). Sigle abandonné dans Kasser, Prolégomènes.
- Dialecte d'Eléphantine de l'époque pré-copte. Survivances dans des noms propres en transcription grecque, des empruntsen méroïtique et vieux-nubien. Nous ne possédons pas de texte de ce dialecte.
- Fayoumique, avec plusieurs subdialectes. Caractérisé par -a à la place de -o tonique: taia «honorer» (ⲧⲁⲓⲁ) et par le lambdacisme (l à la place de r): lōmi «homme» (ⲗⲱⲙⲓ) à la place de rōme (S), rōmi (B). Premier texte publié M. Münter, Commentatio de indole versionis sahidicae Novi Testamenti, Copenhague 1789. Grammaire: W. Till, Koptische Chrestomathie für den fayumischen Dialekt mit grammatischer Skizze und Anmerkungen, Wien 1930.
- Dialecte très proche de B et attesté par divers documents, dont le premier a été publié par J. Krall, Koptische Briefe, Wien 1892, p. 41.
- Hermopolitain. Un texte inédit se trouvant dans le Morgan Papyrus Codex M 636, cf. N infra.
- Nommé d'après le seul texte publié par P. Lacau, Fragments de l'ascension d'Isaïe en copte, Muséon 59, 1946, 453–467.
- Nommé d'après P. Kahle, éditeur du seul texte publié, Muséon 63, 1950, 147–157 et Bala'izah I, Oxford 1954, 377–380 (sigle devenu K 71 dans Kasser-Satzinger, L'idiome du P. Mich 5421, (trouvé à Karanis, nord-est du Fayoum), WZKM 74, 1981, 15–32.
- Lycopolitain d'après Lycopolis, aujourd'hui Assiout, capitale de la Haute Égypte, 357 km au sud du Caire. Ce dialecte a été nommé précédemment sub-akhmimique (A2). Premier texte publié par Carl Schmidt, Acta Pauli, Leipzig 1904.
- Moyen-Égyptien, aussi appelé oxyrhynchite, d'après la ville d'Oxyrhynchos, dont les ruines se trouvent entre Maghagha et Qolosana à proximité du Bahr Youssef, environ 182 km au sud du Caire. Premier texte publié par W. E. Crum et H. I. Bell, Wadi Sarga, Copenhague 1922, p. 29–30.
- L'unique document de ce dialecte, écrit par trois mains différentes se trouve dans le Morgan Papyrus Codex M 636, chez Crum, Dictionary Pcod Mor (Mr. Pierpont Morgan's Papyrus Volume of Psalms &c., H. Thompson's copy). Sigle abandonné dans Kasser, Prolégoménes.
- Vieux-copte, abréviation de old-coptic. Il s'agit là, non d'un dialecte, mais d'un ensemble des textes écrits au moyen d'alphabets archaïques.
- Nommé d'après le Livre des Proverbes, Papyrus Bodmer VI, édité par R. Kasser, Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium, vol. 194, Scriptores Coptici, Tomus 26. Louvain 1960, unique document de ce dialecte qui se distingue par son orthographe particulière (dittographies, emploi de nouveaux signes).
- Sahidique, de l'arabe ṣaʿīdī «de la Haute Égypte» (aṣ-Ṣaʿīd), bien connu par une riche littérature. Le sahidique est, en général, d'une régularité remarquable. Grammaires: W. Till, Koptische Grammatik, Leipzig 1955. J. Vergote, Grammaire copte, Louvain 1973 et 1983.
- Dialecte fayoumique sans lambdacisme.
- Dialecte du Papyrus bilingue de Hambourg, sub-dialecte du fayoumique, édition préparée par R. Kasser avec J. B. Diebner, etc. Sigle devenu F7 dans Kasser, Prolégomènes.
Les dialectes coptes
D'une manière générale, l'auteur du présent Dictionnaire a voulu s'adapter aux principes établis dans les Prolégomènes de R. Kasser qui présente une classification des différents dialectes et subdialectes coptes selon des critères phonétiques.
Ce système présente l'avantage que les différents subdialectes sont groupés sous la dénomination des dialectes (à proprement parler) «chefs» auxquels ils se rattachent. C'est ainsi que G n'est plus considéré comme un dialecte au plein sens du terme, mais comme un mésodialecte voisin du bohaïrique (cf. E. W. Crum, Coptic Documents in Greek Script. Proceedings of the British Academy 25, 1939, 249–271; R. Kasser, l'idiome de Bachmour, BIFAO 75, 1975, 401–427).
Les principaux dialectes de la langue copte se présentent donc comme suit:
Basse Égypte | Haute Égypte |
B = bohaïrique, |
S = sahidique, |
| P = dialecte des Proverbes, |
| F = fayoumique (avec lambdacisme), |
| V = fayoumique (sans lambdacisme), |
| M = moyen-égyptien, |
| L =
lycopolitain, |
| A = akhmimique. |
Tous ces sigles correspondent aux indications des Prolégomènes de R. Kasser. Nous avons seulement ajouté P, protodialecte du sahidique, à cause de son orthographe déconcertante (mpooou «aujourd'hui», bahhoue «paupières» pour mpoou, bahoue).
Des formes et graphies aberrantes ont été distinguées où ceci était indiqué, par l'addition d'un petit cercle: une graphie sahidique san «frère» (ⲥⲁⲛ) au lieu de la forme correcte son (ⲥⲟⲛ) s'écrit ⲥⲁⲛ (So) et non ⲥⲁⲛ (S).
Nous tenons à remercier tout particulièrement la Fondation Ernst et Lucie Schmidheiny dont l'appui généreux a permis la réalisation du présent Dictionnaire.
Nous remercions également le Fonds National Suisse pour la Recherche Scientifique dont le concours a permis la publication de notre ouvrage.
Nous devons de précieux renseignements à M. Rodolphe Kasser (Université de Genève), ainsi qu'à M. François Daumas (Université de Montpellier), à M. Elmar Edel (Université de Bonn), à M. Gérard Roquet (Institut Catholique de Paris), à M.O. Rössler (Université de Marburg an der Lahn), à M. Jozef Vergote (Université de Louvain), et à M. Wolfhart Westendorf (Université de Göttingen).
Werner Vycichl